Victor n'était qu'un songe. Une fabulation passée, qui n'a plus de vie. Cet amour qu'on a eu est alors froid. Vide. Enterré dans une tombe qui n'a pas de corps. On enterre une idée qui n'a plus de chair. Et à chaque fois que la terre est balayée par la pelle, la délicatesse se déchire encore, encore, encore. Il ne reste plus rien, que mes mains craintives sur la pierre tombale absente d'un conte de fées qui n'en était pas un. D'une histoire qui a pris fin. Je pense à ces grands arbres noirs tordus, où d'une démarche gauche, nous nous avancions. L'espoir alors était un mot que je comprenais.

Victor, joues creusées, prunelles sombres, la nuit dessinait sur son visage chacune de ses moues. Devant le prêtre, les mots titubent. Il n'arrive pas à le dire. Je le veux. Chaque lettre lui arrache un effort surhumain, il ne peut combler les parents Van Dort qui le fusillent alors d'un regard terrifiant. Peur marque ses lèvres qui tremblent. Pris de secousse, course enflammée dans les bois pour y égarer ses propres troubles. Ils le veulent, ce mariage. Si ce n'était d'abord qu'une question de fortune et d'apparat, pour les jeunes fiancés, le tendre attachement se tresse dans leurs désirs. Victor et Victoria. A la répétition du mariage, l'hésitation et la peur le saisissent. Il n'arrive pas à les prononcer les mots doux que le prêtre affirmera. Non, il expire fort, s'en va, se perdre entre les troncs longilignes pour y trouver du calme.

Ce sont de simples voeux..., il répète. Se trompe. Répète encore. Tombe sur une fleur dont il inspire le parfum. Fragrance familière. La même maladresse emporte l'Albatros. Et finalement, sa bouche les dit, les mots qui veulent tout dire, ceux qu'il peinait tant à extraire de sa poitrine. Mais l'anneau précieux, symbole de l'engagement, s'échappe de son emprise trop instable. Ses doigts farfouillent, mais rien. Victor, comme un imbécile dans cette nature morte à la recherche de la bague en or. Se dresse l'étrange mariée. Et sur sa main squelettique, la belle bague brille. La nature s'affole, alors que la mort de la terre s'élève. Dans sa dentelle blanche, ses côtes saillantes, son squelette parfois dépasse d'un bout de couture, Emily. Femme bleue au teint pâle, au visage griffé, souffrance comme lueur dans ses iris funèbres. Le vivant épouse le cadavre, et l'amour dégringole.

Emily, désabusée par un époux qui a profité de sa fortune et naïveté, n'est pas en paix. Agitée par sa colère, et son envie désespérée d'avoir un mariage heureux. Victor fuit, mais ramené au monde des morts, les asticots et les carcasses amusent. Il y a là-bas plus d'envie que sur Terre. Tentation par cette joie qui résonne aux mélodies de piano. Mais il reste Victoria, fiancée qu'il ne peut abandonner à la tristesse de sa famille. Alors, il revient. Sombre église qui se tient si droite. Le cadavre en blanc revient, supplie, mais ne peut gagner. Elle vole le rêve d'une autre. Remords la tourmentent comme des corbeaux qui picotent sa peau trouée. Se venge de celui qui l'a tué. Elle dépose dans la paume blanchâtre de Victor le bijoux doré. Tu as tenu ta promesse. Tu m'as libéré. Et, elle disparaît en une nuée de papillons. Le ciel est comblé, les fiancés.

Alors, j'ai serré le bouquet de roses bleues. Là, contre ma poitrine. Ce devait être ça, la fin. Victor, et Victoria. Libres et heureux. Happily ever after qui se casse la gueule. Ce voleur qui dérobe le bonheur. On ne se reconnaît plus. Qu'est-ce qu'une fiancée sans son promis ? Ce n'est plus rien.

EVERGLOT. Une rose dorée pour emblème sur la boutique. Devanture peinte en noire. Et les cercueils sont alignés. Vides, attendant leurs corps exquis. Finis et Maudeline pour parents. Ils sont familiers, mais ils ne se souviennent pas de cette vie là, de ces histoires comme celles-ci. Elle ne parvient pas à oublier le visage anguleux de Victor, mais il le faut pour ne pas se laisser mourir d'illusions. Victoria travaille avec ses parents. Et elle revoit inlassablement ce même portrait d'Emily. Celle qui était rivale est désormais aînée. Emily serait morte, il y a de cela un an. Peine lourde mais indifférente. Cette Emily n'est que l'écho du cadavre qu'elle a connu. Culpabilité discrète. Il ne reste de sa vie passée que ce qu'il y a de plus morbide. Pas d'amour. Elle aime cette famille qui lui rappelle la sienne, mais personne ne semble se souvenir du tendre mythe de Victor, et Victoria. Alors, elle tait ses souvenirs. Cherche à trouver de la joie dans ce monde vivant. Aujourd'hui, elle est tout simplement perdue. A la recherche de sa nouvelle identité.