Un bâillement l'obligea à s'arrêter dans son travail. Lorsqu'il était inspiré, les heures pouvaient défiler en un instant. En ce moment, de l'inspiration, il en avait à revendre. Il y avait tellement de choses à faire ! Il avait balayé la collection en cours fait par son ancien lui. Il avait d'autres projets en tête. Deux futures collections à concevoir. Une qui était de l'ordre du professionnel, idéal pour les fêtes qui approchaient à grands pas et, l'autre centré autour du Coeur de Te Fiti qui était redevenu son obsession du moment. Un futur écrin étincellement pour appâter un duo d'enquiquineur. Tout n'était pas encore totalement au point, mais, son plan prenait doucement forme.

Avec réticence, Tamatoa s'écarta de ses croquis et s'étira sur sa chaise avec un nouveau bâillement. Un regard en direction de la vitre la plus proche l'informa que le jour était doucement en train de faire place à la nuit. Tout aussi doucement, d'autres informations se rappelèrent à son bon souvenir. il avait faim. Il avait soif. Et, à force de rester assis sur son bureau, il avait surtout une furieuse envie de se dégourdir les jambes.

Maintenant qu'il n'était plus dans sa bulle créative, l'ancien crabe trouvait son loft, aussi luxueux soit-il, affreusement vide et silencieux. Machinalement, il se rendit jusqu'à son Jukebox et, après une intense réflexion pour trouver la bonne chanson, lança "Rock You Like A Hurricane". Le rock, c'était sa solution de dernier recours. Idéal pour briser le silence et le réveiller d'un coup. Il laissa la chanson déverser ses accords endiablés de guitare, le temps de se servir une tasse de café. "Here l'am. Rock you like a hurricane." Chantonna-t-il en se dirigea, tasse de café en main, jusqu'à la fenêtre pour contempler les dernières lueurs du coucher du soleil. "The night is calling, I have To go." Malgré le fond sonore animé, la sensation désagréable de vide et de silence ne disparaissait pas. Tamatoa resta avec ce sentiment qui avait l'allure d'un arrière-goût désagréable dans la bouche avant de se ressaisir. Déjà lassé par la musique, il éteignit le Jukebox avec agacement.

Son téléphone affichait un nombre affolant d'appels manqués, de notifications diverses et de messages non lus. Depuis quand s'était-il déconnecté pour pouvoir travailler tranquillement sur ces nouvelles idées ? Deux jours ? Un jour et demi, grand maximum ? Tamatoa poussa un soupir. Même un jour et demi sans se faire voire ou donner de nouvelles, dans la sphère si volage et mondaine qu'il avait l'habitude de côtoyer depuis son arrivée ici, cela revenait presque à être mort. Socialement mort. Ce n'était pas comment avant où il n'avait pas à se soucier de ceux qu'il entraînait dans son sillage parce que ces derniers finissaient dans son estomac quelques instants après les avoir appâter. Ici, il devait penser sur le long terme. La mine pensive, Tamatoa tourna le téléphone entre ses doigts. "The night is calling, I have To go." Chantonna-t-il de nouveau, avant de retrouver le sourire. Il connaissait le remède idéal pour étouffer ce genre de pensée désagréable et rattraper le temps perdu.

Une heure plus tard, il se retrouvait devant le Styx Club. Une heure, c'est le temps qu'il lui avait fallu pour s'habiller pour l'occasion et envoyer un message à l'ensemble de son répertoire : Styx Club, dans une heure, Fiesta, c'est ma tournée.

Cette chose qui s'appelait technologie avait du bon. Tamatoa avait vite compris que maîtriser cet objet nommé téléphone devait être sa priorité tant il sentait que sa vie sociale allait en dépendre. C'était presque l'équivalent du jeux de lumière de ses trésors à travers les eaux de Lalotai. Un petit message et il y avait déjà une partie des personnes qu'il était censé connaître dans cette vie qui l'attendait. Accolades, salutations d'usage, des paroles exagérées comme s'il revenait d'entre les morts, suivis d'exclamations joyeuses lorsqu'ils pénétrèrent enfin dans le club.

Son sourire était à présent éclatant. Il avait suffi de quelques pas à l'intérieur pour que le joaillier soit de nouveau remonté à bloc. L'ambiance y participait beaucoup. C'est presque en sautillant qu'il alla jusqu'au bar. "Barman, ce que vous avez de plus fort." Commanda-t-il en pianotant sur le comptoir. Il se tourna vers les personnes qui l'accompagnaient. "Prenez ce que vous voulez, c'est moi qui invite ! D'ailleurs..." Il se retourna complètement et mit ses mains en porte-voix avant de crier "TOURNÉE GÉNÉRALE !" Un concert d'exclamations joyeuses répondit à sa déclaration. Quelques applaudissements épars et des verres furent lever dans sa direction. Rien de tel que l'annonce d'une tournée générale pour marquer une entrée. Une manière de signaler sa présence : je suis ici et on va faire la fête toute la nuit. En attendant sa commande, accoudé au bar et tapotant du pied au rythme de la musique, Tamatoa scrutait la foule à la recherche d'une figure familière.

C'était grâce à ce genre d'endroit que Tamatoa appréciait autant cette nouvelle vie. Ici le paraître prévalait sur la vérité. Autant dire qu'avec l'ancien crabe, la sphère mondaine qu'il fréquentait à présent prêchait déjà un converti. Tout ce qu'il avait à faire, c'était se montrer de manière assez régulière pour rappeler son existence et, surtout, se montrer généreux. Chose qui ne posait pas vraiment de problème pour l'instant, grâce à son métier. Commencer par une tournée générale avait le mérite de correspondre en un seul geste à ces deux prérequis. Une bonne manière d'annoncer la couleur sur son envie de faire la fête.

Sitôt cette déclaration faite, le joaillier s'accouda au bar et pianotait sur le comptoir au rythme de la musique, attendant sa commande en affichant un sourire satisfait. Une main ne tarda pas à se poser sur son épaule.

"Hadès, mon ami !" S'exclama joyeusement l'ancien crabe en retour. Difficile de dire s'il était véritablement sincère en employant un tel mot. L'amitié n'était pas une chose à laquelle il était habitué, alors, parler d'amitié sincère. Surtout que Tamatoa avait vite compris que la plupart des personnes qui gravitaient autour de lui dans ce monde n'offrait qu'une amitié de façade et seraient les premiers à l'enfoncer dans sa chute si jamais il venait à connaître un revers de fortune. Aucune rancune là-dedans, lui-même ferait certainement pareille. Ainsi allait la vie, dévoré ou être dévoré. Cependant, Tamatoa appréciait Hadès, et cela, c'était un fait. "J’espérais justement te voir." Continua-t-il alors que son interlocuteur lui assurait qu'il pouvait lui demander n'importe quel service. Il se pencha en arrière en posant le dos de sa main sur son front dans une attitude dramatique et beaucoup trop théâtrale pour être crédible. "Voilà des jours que je travaille sans cesse. Je crois que j'en ai oublié comment on s'amuse." Il se redressa en affichant un grand sourire. "Et qui de mieux que le maître des lieux pour me remettre dans le bain ?"

Entre-temps, le barman avait servi sa commande. Tamatoa s'en saisit et en prit une gorgée avec la même délectation qu'un voyageur buvant sa première gorgée d'eau après avoir subi une traversée du désert. Le joaillier s'arracha à son délice pour se concentrer sur les paroles d'Hadès. Une lueur dans son regard indiqua avant qu'il ne le manifeste avec des mots que le discours de l'ancien Dieu avait piqué sa curiosité. Il fallait dire qu'il était très facile de l’appâter quand on connaissait sa manière de penser. "Exotique, hein ?" Répéta-t-il en savourant ce mot. "Dis-moi tout. Non ! Mieux !" L'ancien crabe fit un geste d'invitation. "Montre-moi."

Tamatoa avait une certaine tendance à l'exagération et au mélodrame. Il ne serait plus vraiment lui-même s'il commençait à aborder les situations de manière raisonnable. Alors, bien évidemment qu'après être resté un temps interminable derrière son bureau, il allait en faire des caisses en prétextant avoir oublié comment on s'amusait. Une remarque qu'il avait faite avec un grand renfort de geste théâtrale. En entendant la remarque d'Hadès, il se tourna vers le type déprimé. Le joaillier eut un petit rire joyeux, comme si voire la déprime des autres était quelque chose de particulièrement amusant pour lui. "C'est vrai." Concéda-t-il avec un sourire. Il poussa un soupir satisfait. "N'empêche, j'ai l'impression que cela fait une éternité que je ne suis plus venu ici."

Il feintait le calvaire, mais en réalité, il était plutôt content de son travail dans cette nouvelle vie et, surtout, il était particulièrement heureux de la tournure que prenait son petit projet personnel. Certes, il n'avait toujours pas trouvé le Coeur de Te Fiti, mais, il mettait doucement les choses en place. Bientôt son piège serait tendu et il n'aurait plus qu'à attendre que cette peste de navigatrice du dimanche et ce demi-dieu gonflant viennent s'y jeter. Cela méritait bien une petite pause. D'autant plus qu'il comptait bien rattraper son retard d'un point de vue festivité manquée. Comme une invitation à concrétiser au plus vite cette bonne résolution, Hadès lui parla de nouvelle expérience, ce qui ne manqua pas de piquer l'intérêt de l'ancien crabe. Sans plus attendre, il imita son ami en vidant son verre d'une traite avant de le suivre docilement.

Oui, il était curieux et se demandait ce que pouvait lui mijoter son comparse. Des gardes du corps. Un rideau menant à un escalier. "Voilà qui est bien mystérieux." Commenta-t-il à voix haute avec un certain intérêt. Il ne connaissait pas encore assez le monde des humains pour se permettre de spéculer sur ce qui l'attendait en bas. Le seul territoire souterrain qu'il connaissait était Lalotai, son monde d'origine qu'il arborait désormais en tant que nom de famille.

Arrivé à destination, Tamatoa s'agrippa à la rambarde du balcon pour mieux se pencher et profiter du spectacle qui se dressait en contrebas. Il s'y passait tellement de chose que son regard passait d'un endroit à un autre sans arriver à s'arrêter sur un élément précis. "Olala, un véritable chant de sirène." Dit-il avec l'expression d'un gamin découvrant une montagne de cadeau sous son sapin à son réveil le jour de Noël. Il prit une grande inspiration, se redressant et se frotta les mains, provoquant au passage un léger bruit lorsque ses nombreuses bagues s'entrechoquèrent. "Oui, s'il te plaît." Répondit-il en se tournant vers son ami. "Tu me gâtes, vraiment. Je suis flatté de compter parmi ta clientèle particulière." Il lança un nouveau regard au décor, un regard gourmand. "Je ne saurais honnêtement pas décider par quel bout commencer. J'aurais grand besoin que tu me serves de guide, mon ami. Tu connais mes goûts." Dit-il avec un sourire et un clin d'oeil.

La soirée se déroulait au-delà de toutes ses espérances. Dire que son projet de la soirée s'était limité à vouloir tout simplement enchaîner quelques verres et danser sur des musiques entraînantes en poussant éventuellement la chansonnette ! Maintenant que la partie VIP des lieux s'offrait à lui, Tamatoa réalisait à quel point il avait visé petit dans ses objectifs festifs. Il était plus que ravi que son ami Hadès lui fasse découvre ce nouveau terrain de jeu.

Il eut un sourire satisfait en entendant Hadès lui dire qu'il méritait amplement cette découverte. Il était particulièrement friand de ce genre de remarque qui brossait son orgueil dans le sens du poil. "Oh, en toute franchise, à ta place, si je possédais autant de merveille, je serais tenté de tout garder pour moi." Il travaillait encore sur son sens du partage. C'était une nouveauté de cette nouvelle vie, tout comme l'amitié. Il pouvait se montrer généreux en dilapidant l'argent sans avoir aucun problème, parce qu'il s'agissait d'une notion abstraite à ses yeux, mais, il avait encore du mal à se séparer de ses créations pour les vendre et ne parlons pas des objets de sa collection privée que personne n'était en droit de toucher ou même d'approcher de trop près.

L'ambiance lui donnait d'ailleurs ce petit frisson d’excitation devant l'impression d'être dans la collection privée de quelqu'un d'autres et ce malgré la présence d'autres clients. Ce qui n'était pas pour lui déplaire. L'ancien crabe regardait tout avec le regard gourmand du gros mangeur qui ne savait pas par quel côté attaquer un buffet à volonté, tant absolument tout lui donnait envie. Il allait avoir besoin d'un guide pour se décider !

Tamatoa suivit docilement le propriétaire des lieux qui l'invita à le suivre. Tout comme il écouta tout aussi docilement les explications données. La description des tables de jeu ne pouvait que le mettre en joie. "L'idée de gagner beaucoup me plaît. Mais, celle de parier des vies m'enchante encore plus. Surtout si, au final, ce sont les autres qui finissent par s'y brûler." Approuva-t-il, en regardant les différentes tables de jeu toujours avec son regard gourmand et son sourire éclatant.

Il était ravi de voir de l'argent sur les tables et non des jetons. L'argent était déjà une notion floue qu'il commençait à peine à assimiler, alors, les jetons de casino... C'était une chose encore plus obscure pour lui. Il était donc ravi de ne pas avoir à se soucier de la valeur des jetons pour les parties se déroulant ici. Le côté légal ou non de ce qu'il était en train de contempler lui échappait complètement. Il ne voyait les choses qu'en matière d'amusement et, clairement, cet endroit lui semblait bien amusant que ceux se bornant à rester dans la limite des lois.

Son regard pétilla en regardant la scène, et il pencha légèrement la tête de côté comme si l'envie soudaine d'y monter lui traversa pendant un instant l'esprit, avant d'y renoncer (ou de temporairement mettre cette idée de côté) pour rejoindre Hadès au bar. S’accoudant nonchalamment au bar, l'ancien crabe écouta le nouveau flot d'explication de son guide avec l'avidité de celui qui voulait tout connaître.

En temps normal, il aurait répondu qu'il n'avait besoin que d'un peu de musique pour planer, mais, avant qu'il ne puisse dire cela, sa curiosité fut piquée par le plateau apporté. Tamatoa regarda les lignes de poudre blanche, avec la même curiosité insatiable qu'il avait dans son ancienne vie lorsqu'une proie inattendue tombait dans son antre. Il observa avec attention son ami se saisir d'une paille et d'aspirer une ligne de cette poudre. La réaction de son guide ne fit qu'augmenter sa curiosité grandissante.

Le fêtard se saisit à son tour de la paille en lançant un regard à son interlocuteur pour juger rapidement s'il ne se moquait pas de lui, car, il avait bien du mal à croire qu'une si innocente poudre blanche pouvait avoir un quelconque effet sur lui. Avant que la curiosité ne revienne en flèche et ne fasse céder son scepticisme. Il imita Hadès en aspirant à son tour par le nez une ligne de poudre. Pour une grande première, l'effet fut... explosif ! Il s’affaissa davantage dans sa position contre le bar, la bouche entrouverte comme s'il revenait d'un tour de grand huit. Un soupir d'aise s'échappa doucement de ses lèvres alors qu'il s’affaissait un peu plus sur son appui. Ensuite, d'un coup, il se leva d'un bloc en reniflant bruyamment par le nez. À croire qu'il s'était soudainement transformé en un diable à ressort sortant de sa boîte.

"J'ai... la... PÊCHE !" S'exclama-t-il avec lenteur avant d'exploser dans un cri enthousiaste.

À présent, il n'y avait plus aucune trace de sa prétendue fatigue accumulée lors de ces journées de travail. Tamatoa se frotta les mains dans un nouveau déluge de bruit clinquant provenant de ses bagues, tout en criant un "wou hou" enthousiasme, cri qu'il conclut par un tapement de main tout aussi bruyant. "Viens ! Je ne peux pas... Rester là comme ça ! La scène m'appelle !" Déclara-t-il en faisant quelques pas de danse en direction de la scène avant de se stopper et de faire un demi-tour en glissant pour revenir vers Hadès. "Non ! Mieux ! J'ai envie de... Jouer avec la vie des autres." Déclara-t-il, un sourire à la fois mauvais et impatient sur le visage. "Comme à la belle époque." Poursuivit-il avec une voix teintée de nostalgie. Son attention était entièrement concentrée sur son guide, guettant le moment où le maître des lieux allait le conduire vers l'activité désirée.