Une histoire de pantalon

Nivens avait étalé la source de son tracas sur son lit. À présent, il en faisait le tour en se rongeant l'ongle du pouce, lançant de temps en temps une œillade tantôt assassine tantôt inquiète sur le vêtement. Il s'agissait d'un pantalon. Pour n'importé qui d'autres, ce ne serait qu'un simple vêtement, mais, pour l'ancien lapin blanc, ce pantalon était à la fois une source de problèmes et d'embarras.

Il l'avait jamais eu à porter ce genre de chose avant. Une chemise, d'accord. Un gilet, ok. Une veste, c'était l'évidence même. Mais un pantalon... Non, jamais. Bien sûr, il n'était pas idiot. Il avait fini par comprendre l'utilité, voir la nécessité, de porter ce qu'on appelait ici un caleçon. Pour le dire de manière pudique, il avait compris que certaines parties de son anatomie devaient rester cacher. Ce qui lui échappait complètement, c'était le fait qu'on ne pouvait pas s'en contenter. Pourquoi remettre une autre couche de vêtement en mettant ce pantalon par-dessus le caleçon ? Nivens avait essayé, hier, de se plier à cette coutume étrange, et la journée lui avait semblé particulièrement pénible. Ce pantalon était non seulement très désagréable à porter, mais, en plus, il avait l'impression qu'il limitait terriblement ses mouvements. Il ne pouvait pas de faire d'aussi grande foulée qu'avant. Du moins, c'était l'impression qu'il avait. Et, comme souvent avec le facteur, les impressions ne tardaient pas à devenir des certitudes. À la fin de la journée, il avait obtenu la conviction que son retard du jour avait été causé par ce maudit bout de tissu.

Et il allait devoir se plier à la même contrainte aujourd'hui ? Alors qu'une nouvelle journée chargée de l'espoir fou d'être enfin à l'heure venait de commencer ? D'ailleurs, en parlant de cela... Son regard se leva vers une des nombreuses horloges de la pièce, avec toutes ses préoccupations, il n'avait pas fait attention à l'heure. "Oh par mes moustaches ! Je suis en retard !" S'alarma-t-il, en panique, comme à chaque fois que son regard se posait sur une montre ou n'importe quel objet pouvant indiqué l'heure. Il fit deux pas pour quitter la pièce, puis revint pour lancer un regard alarmé en direction du pantalon toujours posé sur le lit. Le regard de l'ancien lapin passa de l'horloge au pantalon, puis du pantalon à l'horloge dans une indécision qui n'était pas loin de le faire suer à grosses gouttes. À cours de temps, le facteur pris une décision qui tenait en deux mots : tant pis.

Sa tenue se composait, de sa chemise, son gilet, son nœud papillon, sa veste, d'un caleçon, de chaussettes et de chaussures. Bien qu'il manquait un élément crucial à sa tenue, Nivens sortit en trompe de chez lui et commença à courir dans la rue, indifférent aux regards curieux et étonnés qu'il pouvait susciter sur son passage.